Si la date du 5 juillet 1962 remonte à plus d’un quart de siècle, plus précisément à 53 ans, elle est immuable et reste gravée dans ma mémoire nous confie K.Kabouya .Certes j’étais encore jeune à cette époque mais je m’en souviens encore aujourd’hui dans les moindres détails
Les préparatifs ont commencé très tôt, depuis le mois de mars : chants patriotiques à fredonner, défilés dans les règles de l’art et chacun y mettait du sien La bonne ambiance régnait et nos guides et encadreurs prenaient leur travail très au sérieux se montrant méticuleux, persévérants et pleins de pugnacité et d’enthousiasme.
Il s’agit de célébrer le premier jour de notre indépendance, du recouvrement de notre liberté, de notre dignité nous martelait sans cesse les personnes chargées de notre entrainement. Le chef de file , de sa voix rauque, de stentor qui portait très haut et qui déclenchait crainte, respect et soumission, revenait chaque fois à la charge ,’ je ne veux pas de rangs déformés ou en zigzags ;je veux une seule ligne droite ,allez au pas et on ne traine pas, on ne badine pas avec moi ‘.
Ces trois mois nous paraissaient presque interminables car ce qu’on voulait, c’était parader libres, la tête haute, sans peur et sans reproche.
Ca durait du petit matin jusqu’au soir avec une pause l’après-midi et vite l’entrainement reprenait de plus belle.
Rappelons pour souligner cette page de l’histoire que l’électricité n’existait pas et seul un groupe électrogène alimentait quelques foyers du centre-ville du crépuscule à 23 heures ou minuit selon la bonne humeur de ce groupe qui faisait parfois des siennes. Durant la journée, pas d’électricité donc pas d’eau fraiche, pas de fraicheur, rien ! Mais ce qui nous stimulait, nous encourageait c’était cette fameuse journée du 5 juillet 1962 qui allait sonner le glas et marquer l’histoire de notre pays, l’Algérie, une Algérie symbole du sacrifice de tout un peuple, de toute une population dont une grande partie fut décimée, torturée, massacrée, assassinée par cet envahisseur sans foi ni loi.
5 Juillet 1962 en Adrar, une journée pas comme les autres.
La veille de ce 5 juillet 1962, on nous avait distribué des tenues blanches avec un calot et le rassemblement était fixé le lendemain devant l’ancienne école de filles qui existe toujours .Sept heures du matin ,
nous étions tous massés là ?nous confie Kabouya ,avec les interminables retouches de notre chef qui force l’admiration de tous « arrange bien ton col de chemise « crie –t-il à celui-là ajuste cette mèche rebelle et tiens –toi droit .Aujourd’hui est un grand jour pour nous ,pour notre patrie et pour l’Algérie toute entière ,alors soyons sérieux .Les troupes folkloriques présentes à ce grand événement donnaient le ton et sous le son des ‘bendir et aghlal’ s’activaient faisant vibrer cette foule en liesse qui criait à tue –tête ‘Al jazair horra moustakilla’.
Le défilé commence et le cortège s’ébranle en direction de ‘souk eddinar’, lieu actuel du centre –ville. .Femmes de tous âges, enfants adultes venus des ksour avoisinants l’accompagnaient .Les you-you fusaient de partout et malgré une chaleur lourde, pesante et écrasante personne ne se dérobait, tous voulait assister à cette manifestation qui célébrait l’indépendance d’un pays qui panse encore ses blessures et qui enterre encore ses morts.
Effectivement précise Kabouya ,je faisais partie du défilé et on devait marcher droit, relever la tête et chanter sous l’œil vigilant du chef ,intraitable ,immarcescible qui n’accepte pas que quelqu’un se fourgue de lui .
Le soleil au-dessus de nos têtes martyrisait la terre puisque le bitume n’existait pas et la sueur qui dégoulinait sur nous inondait nos petits corps frêles qui refusaient d’abdiquer et d’abandonner. Le chant en cœur reprenait le dessus et la fatigue, la sueur finissaient par s’estomper : notre esprit et notre volonté ont fini par triompher car les applaudissements des gens agglutinés sur les côtés nous encourageaient et nous poussaient à chanter de plus en plus fort.
Nous paradons depuis plus de trois heures, nous sommes complètement avachis, exténuées et déhydratés.Heureusement pour nous, une sexagénaire qui habite peut-être dans les parages arrive, munie d’une ‘guerba’ sorte d’outre confectionnée à partir de peaux de chèvres, qui conserve l’eau fraiche nous abreuve de ce précieux liquide à l’aide d’un broc en argile .Cette eau bénéfique dont l’effet est immédiat nous fait du bien et nous permet de reprendre des forces : une véritable aubaine inattendue. Les plus malins se mouillaient la tête avec quelques gouttes.
La parade reprend et nos magnifiques tenues blanches ont perdu de leur éclat, entaché de sueur et de poussière.
A midi, tout ce beau monde prend une pause et se donne rendez-vous en fin d’après-midi.
Aux environs de 18 heures, la relève de nos jeunes qui ont paradé toute la matinée est assurée par des troupes folkloriques où le ‘zemmar’, les percussions des ‘aghlal et bendir’ annoncent la couleur .Tout de blanc vêtus, fusils en bandoulière,ils dansent sous le rythme effréné des percussionnistes qui s’en donnent à cœur joie ,soulevant admiration et ovation de la part des spectateurs qui scandaient ‘tahya el djazair !’
Certains n’ont pas hésité à se joindre aux danseurs et cette euphorie gagne tout le monde qui se met à danser, chanter ; puis dans un vacarme assourdissant les hommes font parler la poudre de leurs fusils qui enveloppent les assistants dans un grand nuage de poussière et de fumée .Le bonheur, la gaieté se lisent sur les visages radieux qui ressentent cette fierté, cet engouement qui font d’eux des Hommes libres.
Une journée pas comme les autres ,une journée mémorable qui allait marquer à jamais nos esprits car l’histoire retiendra que le prix à payer est très lourd ,plus d’un million et demi de ‘chahid’ de veuves ,d’orphelins ,de disparus ,de mutilés ,d’handicapés ,de personnes qui portent encore les marques ,les traces du passage du colonialisme ,ne l’oublions pas et gardons le toujours en mémoire .
Il y a assez sur la surface de la terre pour le besoin de chacun mais pas pour la cupidité de tous .Puissions –nous simplement vivre pour que les autres puissent vivre aussi sereinement dans la quiétude, la paix et la liberté.
Le soir ,tout ce beau monde se retrouve assis à même le sol autour d’un grand plat de couscous que les citadins en étroite coordination ont décidé de restaurer ces participants venus de loin car le bouche à oreille a déjà fait son effet ,la radio ‘fouggara’ comme l’appellent les Adrari .Après avoir fait ripaille,
le thé va couler à flot et le spectacle perdure jusqu’à une heure tardive de la nuit à la lumière des étoiles et de la lune qui se sont invitées à cette soirée ,sans doute pour donner plus de gaieté ,de couleur ,à cette immense fête de notre indépendance .
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